Le docteur Bruno Raynard est chef du service nutrition de l’Institut Gustave Roussy, premier centre de lutte contre le cancer en Europe. La nutrition fait partie des soins de support en cancérologie. Il répond à nos questions sur le problème de la dénutrition chez les personnes atteintes d’un cancer.
Quelles sont les principales causes de dénutrition chez les patients atteints de cancer ?
Les principales causes de dénutrition sont d’abord liées au cancer en lui-même. Les patients souffrent surtout de troubles de l’appétit (généralement un manque d’appétit) souvent associés à des problèmes de goût et parfois même d’odorat. Elles peuvent aussi être liées à des blocages alimentaires lorsque la tumeur se situe au niveau de la gorge, de l’œsophage ou de l’estomac. Il y a une part psychologique qui peut également intervenir, avec l’annonce de la maladie, les problèmes occasionnés, les troubles de l’humeur, du sommeil… ou encore la douleur. Ces causes sont essentiellement liées à la maladie et peuvent arriver dès le diagnostic ou les premiers symptômes. Ensuite, certaines causes sont liées aux traitements et aux effets secondaires. La chimiothérapie, l’immunothérapie, la radiothérapie, la thérapie ciblée, la chirurgie… ont toutes des effets secondaires pouvant avoir un lien avec l’alimentation. Les troubles peuvent être assez nombreux : nausées, vomissements, diarrhées, troubles de l’appétit… Tout cela engendre de près ou de loin des problèmes d’appétit. En général, le premier problème évoqué est : « j’ai moins faim » ou « je n’arrive pas à manger les mêmes quantités qu’avant ».
Quelles personnes sont majoritairement touchées ?
La dénutrition peut concerner tous les types de cancers et localisations tumorales, et tous les âges. Effectivement, certaines localisations sont plus pourvoyeuses, telles que les pathologies tumorales du tractus digestif supérieur, les cancers ORL, de l’œsophage, de l’estomac ou encore du pancréas. Puis, évidemment, toutes les personnes qui ont des éléments de fragilité supplémentaires, comme des comorbidités, ou les personnes âgées, ont des risques de dénutrition plus importants. Ça dépend aussi de l’intensité des traitements, certains vont être plus pourvoyeurs de dénutrition que d’autres, c’est le cas par exemple des radio et chimiothérapies ORL, des greffes de moelle osseuse ou des chirurgies du tube digestif.
Quelles sont les conséquences d’une dénutrition pour les malades ?
Les conséquences sont importantes, car la criticité du problème est majeure : la dénutrition est à la fois très fréquente et a un impact important sur la conduite des traitements. Très fréquente, car si on prend, pour un jour donné, tous les patients atteints de cancer avec toutes localisations et tous stades confondus, il y a 40 % des malades qui sont dénutris. C’est donc un vrai problème. Et les conséquences sont sur le pronostic direct, c’est-à-dire qu’il y aura plus de complications des traitements. C’est un cercle vicieux qui s’installe : les complications de traitements engendrent la dénutrition et la dénutrition engendre des complications de traitements. Il faut intervenir rapidement pour l’éviter.
Il peut y avoir des complications infectieuses supplémentaires. La dénutrition peut même entraîner un arrêt de traitement, ce qui est très embêtant, car c’est une vraie perte de chance pour les patients. Ça peut aller jusqu’à de la mortalité supplémentaire. On sait que dans certaines chirurgies lourdes, certains traitements à risque comme la greffe de moelle, certaines chimiothérapies lourdes, il y a une surmortalité liée à la dénutrition.
En plus de ça, la qualité de vie des malades est amoindrie. Ils se fatiguent plus vite, ils ont moins envie de faire des choses et ça peut durer assez longtemps. On s’est rendu compte que même chez des personnes guéries de leur cancer, si la dénutrition n’a pas été prise en compte, elles vont mettre plusieurs mois voire plusieurs années à récupérer une vie à peu près correcte, contrairement aux personnes qui ont été prise en charge correctement.
Quels sont les moyens de prévenir et de traiter la dénutrition chez ces patients ?
Prévenir la dénutrition n’est pas toujours facile, mais c’est effectivement le point clé. Ça passe par un dépistage précoce, il faut donc que tous les patients atteints de cancer soient évalués régulièrement sur leur poids et leur capacité à manger. Ensuite, il faut faire intervenir soit un diététicien soit un médecin nutritionniste très tôt dans le parcours de soins, si possible avant de commencer les traitements pour que, s’il y a besoin d’une prise en charge nutritionnelle, elle puisse être mise rapidement en place. Cette prise en charge sera essentiellement du conseil diététique, de l’adaptation nutritionnelle, de l’enrichissement… essayer de faire en sorte que même si le patient mange moins en quantité, il ait des apports caloriques et protéiques à peu près corrects. Si ça ne suffit pas, on passe aux compléments nutritionnels oraux qui sont d’une grande aide. Et si ça ne suffit toujours pas, on passe à la nutrition artificielle soit par sonde nasogastrique soit par perfusion. Il faut que les gens le comprennent non pas comme une punition, mais comme un moyen supplémentaire. Le point central est le dépistage précoce et l’intervention de la diététicienne très tôt dans le parcours de soins.
Un message important ?
Il y a malheureusement pas mal d’équipes de cancérologie qui n’ont pas de diététicien ou qui ne sont pas aidées de médecins nutritionnistes. Il faut vraiment que tout le monde œuvre pour qu’on ait suffisamment de diététiciens dans les équipes, c’est très important. Il faut que les patients, les associations de patients ainsi que les professionnels réclament les moyens suffisants.