Cancer et alimentation : la place du pharmacien dans la prise en charge nutritionnelle du patient

Hélène Valque, pharmacien titulaire spécialisée en oncologie à Beaurains (Pas-de-Calais), revient sur la prise en charge nutritionnelle des patients atteints de cancer.

 

Quelles sont les difficultés principales rencontrées par les patients atteints de cancer pour s’alimenter ?

De manière générale, les effets indésirables les plus communs sont les nausées et vomissements. Nous pouvons prescrire des médicaments pour les limiter, mais nous devons nous assurer de l’adhésion du patient à son traitement.

Il faut que le patient en ait bien compris l’intérêt et celui de la gestion des effets indésirables. Ensuite, nous orientons le patient sur l’amélioration de son alimentation malgré les effets indésirables ressentis. Nous avons quelques petites astuces pour atteindre nos objectifs. Par exemple, nous pouvons fractionner les repas ou encore jouer sur les textures alimentaires.

Certains patients peuvent également ressentir une perte d’appétit. Dans ces cas-là, nous devons faire attention, car il faut repérer rapidement les patients dénutris. Nous pouvons détecter la dénutrition lors d’entretiens avec les patients. Je vais toujours demander au patient son poids et en évaluer la variation au cours des 6 derniers mois pour poser un diagnostic.

 

Quelle est la place des CNO dans cet accompagnement ?

Lorsqu’un état de dénutrition est constaté, l’objectif est de conseiller des compléments nutritionnels oraux (CNO) adaptés au patient.

Nous demandons d’abord au patient ses goûts pour l’informer sur les gammes disponibles afin d’ajuster ensemble les CNO à leurs besoins.

Si le patient est indécis, il peut être intéressant de lui faire goûter dans un premier temps plusieurs CNO, textures et concentrations de protéines. D’autant plus qu’une surcharge protéique peut rapidement écœurer le patient qui, potentiellement, souffre déjà d’une perte d’appétit. D’où l’importance de s’adapter à ses goûts et de rester à son écoute, sinon le patient ne va pas avoir une bonne observance.

Il est inutile de dispenser une grande quantité de CNO au patient, car même s’il aime un goût à un instant-t, il est possible que la semaine suivante il ait envie de changement.

Il faut constamment réévaluer le goût du patient, sa sensibilité, la texture qu’il préfère et modifier son alimentation en fonction des effets indésirables rencontrés. Par exemple, dans le cas d’un patient souffrant d’une mucite, nous pouvons adapter les textures proposées.

 

Comment être sûr que les patients suivent bien leur traitement nutritionnel ?

Si le patient n’a pas de goûts particuliers, je conseille de diversifier les propositions gustatives. Cela peut aller de la crème hyperprotéinée au café à la madeleine, ou un cracker salé pour la collation du soir. Il faut toujours évaluer dans un premier temps le maintien de l’alimentation du patient et la présence d’ingestas. L’administration des protéines en dépend également. Nous utiliserons des produits beaucoup plus protéinés si le patient ne s’alimente plus. Alors que nous nous tournerons vers des aliments un peu plus légers si le patient continue de s’alimenter et si l’on arrive à le conseiller correctement sur l’apport de protéines de son alimentation.

La sensibilisation du patient sur l’observance est essentielle. Il faut lui expliquer qu’avoir une bonne observance n’est pas seulement bénéfique pour son poids, mais l’apport des CNO va également agir sur le côté énergétique, et ainsi participer au bon suivi du traitement.

Le patient va être fatigué avec la chimiothérapie et les CNO apporteront de l’énergie. Je pense que c’est l’une des pistes de sensibilisation des patients pour la bonne observance de leur traitement nutritionnel.

 

Quelles sont les principales inquiétudes des patients concernant l’évolution de leur alimentation quand ils découvrent leur maladie ? Comment y répondez-vous ?

Les patients se demandent généralement ce qu’ils pourront encore manger. Nous leur conseillons de manger de tout, de manière équilibrée. Il faut, tout de même, faire attention avec certains aliments, comme le pamplemousse, mais sinon nous leur disons « vous pouvez manger de tout de manière équilibrée. Mangez aussi ce dont vous avez envie ». Quand ils ont un dégoût de l’alimentation ou des nausées, s’ils ont des petites envies alimentaires, il est important de les satisfaire.

Même si nous leur recommandons d’écouter leurs envies, ils doivent tout de même se nourrir d’aliments adaptés aux effets secondaires de leur traitement. Si un patient a de la nausée, nous lui conseillons de se tourner vers une alimentation froide fractionnée. Lors d’épisodes diarrhéiques, il devra éviter les produits avec du lactose. Il pourra se nourrir de compotes, pommes coings ou pommes bananes, qui permettent de ralentir son transit intestinal. À l’inverse, un patient constipé devra rajouter des fibres dans son alimentation.

 

Quels sont les risques des régimes proposés aux patients sur internet pour « améliorer » leur santé ?

Ils doivent faire attention aux fake news qui circulent sur internet par rapport aux régimes à entreprendre quand on a un cancer, le régime cétogène par exemple. De manière générale, les professionnels de santé diront aux patients de ne pas faire ces régimes. Des études ont montré qu’ils entraînent une diminution de l’espérance de vie de nos patients.

 

Quel effet a le changement de leur planning nutritionnel sur leur vie de famille ?

On dira toujours qu’il faut conserver, même a minima, le repas avec la famille. Cependant, cela peut s’avérer difficile avec certaines chimiothérapies et les épisodes nauséeux, exacerbés par les odeurs alimentaires. Cela rend complexe le maintien de la qualité de vie avec l’entourage.

À partir de la deuxième semaine post-chimiothérapie, les odeurs deviennent plus supportables. À ce moment-là, nous conseillons à nos patients de congeler ce qu’ils cuisinent. Cela réduit les odeurs d’alimentation autour des patients quand ils réchauffent leurs plats.

Qui plus est, quand le patient mange en repas fractionnés, il faut prévoir un petit repas avec la famille.

 

Comment l’accompagnement pharmaceutique et l’accompagnement hospitalier se complètent ?

En milieu hospitalier, le patient ne pense pas ou n’ose pas toujours poser les questions. L’officine est plus accessible et ouverte tous les jours de la semaine.

Un patient qui va se réveiller un matin et se sentir mal pourra venir à la pharmacie nous en parler. Si nous estimons que c’est un effet indésirable, nous pouvons prévenir le médecin.

Notre équipe s’assure du lien entre le patient et l’équipe médicale.

 

Encadré : Certification OncoPharma : un gage de qualité pour les patients

Hélène Valque s’est associée à d’autres pharmaciens pour monter une certification appelée OncoPharma. Elle est validée par le Comité Français d’accréditation (COFRAC) pour l’accompagnement des patients souffrant de cancer et leurs aidants.

La certification OncoPharma s’articule autour d’un pharmacien référent qui recevra une formation d’au moins 6 jours en oncologie. La certification est aussi délivrée aux pharmaciens ayant un diplôme universitaire de pharmacie clinique en oncologie. Les équipes officinales sont aussi formées en oncologie pour que la pharmacie bénéficie de la certification.

Le but d’OncoPharma est de permettre aux patients ayant un cancer de bénéficier d’un accompagnement spécifique par des pharmaciens formés aux soins de support. Ces équipes spécialisées peuvent aborder avec les patients diverses problématiques liées à leur maladie que ce soit l’alimentation, l’activité physique adaptée, les prothèses mammaires, capillaires ou encore les risques de thrombose.