Le Professeur de Gériatrie à l’Université de Paris et Nutritionniste, Agathe Raynaud-Simon est Chef du Département de Gériatrie Bichat – Beaujon – Ambulatoire Bretonneau à l’APHP. Présidente de la Fédération Française de Nutrition, elle est aussi Trésorière du Collectif de Lutte contre la Dénutrition depuis sa création en 2016. Son activité d’enseignement et ses travaux de recherche sont centrés sur les troubles nutritionnels des personnes âgées.
QLa première Semaine Nationale de la Dénutrition se déroule en France entre le 12 et le 19 novembre 2020. Elle est organisée et coordonnée par le Collectif de Lutte contre la Dénutrition dont vous êtes trésorière. Qu’attendez-vous de cette première édition ?
RL’objectif principal de cette première Semaine de la Dénutrition est la sensibilisation du grand public et des professionnels de santé à la dénutrition. Tout le monde doit avoir en tête que la dénutrition existe à la fois chez les enfants, les adultes et les personnes âgées. Même si les personnes âgées sont les plus touchées, il y a quand même 10 % des enfants hospitalisés qui sont dénutris ainsi que 30 à 40 % des adultes souffrant de cancer. Pour les personnes âgées, la dénutrition concerne 5 à 10 % de celles vivant à domicile de façon autonome, 25 % de celles ayant besoin d’une aide professionnelle à domicile, entre 30 et 40 % des seniors vivant en EHPAD et 50 % des patients âgés hospitalisés. Par ailleurs, il est important de faire passer le message suivant : la dénutrition a des conséquences graves pour la santé. Elle provoque d’abord une fonte musculaire qui retarde la convalescence et, chez les personnes âgées plus particulièrement, des difficultés à se mobiliser, des chutes et des fractures. De plus, le déficit immunitaire entraîne une hausse des infections nosocomiales ou une augmentation du risque de contracter une forme sévère de Covid. Il faut absolument transmettre qu’il n’est pas normal de maigrir quand on est malade ou âgé : si ces pertes de poids sont dépistées précocement, la prise en charge nutritionnelle est efficace pour réduire les risques de complications liées à la dénutrition.
QPouvez-vous nous présenter quelques exemples d’actions significatives qui vont être mises en place au cours de cette semaine pour atteindre cet objectif ?
RLe Collectif se réjouit du grand nombre d’actions inscrites à l’agenda de la Semaine de la Dénutrition. Ces actions sont très variées et touchent tous les environnements : domicile, EHPAD et hôpitaux. On peut citer par exemple la mise en place de pèse-personnes dans certaines pharmacies ou encore la diffusion d’outils de formation destinés aux aidant(e)s professionnel(le)s travaillant aux domiciles des personnes âgées. De nombreuses actions de formation vont être lancées, à destination des personnels de la restauration et des professionnels du soin. On peut relever aussi une action de sensibilisation dans un Institut de Formation en Soins Infirmiers. On notera la forte mobilisation des EHPAD, avec par exemple le projet « Maison Gourmande et Responsable » qui vise à améliorer la qualité des plats ou encore les actions de Silver Fourchette qui va proposer des ateliers de cuisine et des recettes adaptées en ligne. A noter également des ateliers pour promouvoir l’activité physique adaptée ainsi que des actions pour favoriser la santé bucco-dentaire, propice à une alimentation saine et équilibrée. Enfin, le Collectif de Lutte contre la Dénutrition va diffuser de nombreux outils tout au long de cette semaine : flyer, vidéos, questionnaire, etc.
QLes consciences évoluent progressivement vis-à-vis de la dénutrition, en témoigne la mise en place de cette première semaine nationale qui lui est dédiée. Quelles seraient d’autres mesures à mettre en oeuvre pour progresser d’un pas de plus vers une meilleure prise en compte de la dénutrition ?
RDes actions concrètes sont nécessaires afin que les professionnels disposent d’un minimum de moyens pour agir. Concernant les diététicien(ne)s, il serait profitable, dans certaines circonstances (à la sortie de l’hôpital pas exemple), que les consultations soient remboursées. L’augmentation des effectifs de diététicien(ne)s dans les hôpitaux fait aussi partie des propositions faites par le Collectif pour améliorer la reconnaissance de la dénutrition. Toujours dans les hôpitaux, la création de plus d’Unités Transversales Diététique et Nutrition représenterait une avancée significative afin d’améliorer les pratiques sur site, mais aussi de s’assurer de la continuité des soins après l’hospitalisation (lien ville / hôpital). Jusqu’à présent, ces structures sont trop rares en France, car très peu financées.
QVous êtes l’une des auteurs de l’étude française ENNIGME [1] qui a mis en évidence l’intérêt de la complémentation nutritionnelle orale dans la prise en charge de la dénutrition. Les résultats suggèrent que les CNO sont souvent prescrits un peu tard après l’apparition de la dénutrition. Quels sont les avantages d’une prise en charge précoce par des CNO et comment la favoriser ?
RL’identification précoce d’une perte de poids est capitale ! Elle permet de prendre en charge la maladie précocement et d’augmenter les chances de succès thérapeutique. Dans l’étude ENNIGME, en effet, il apparaît que les prescriptions de CNO à destination des patients âgés sont souvent faites tardivement : après une perte de poids de 8 à 10 %, alors que l’on commence à parler de dénutrition dès 5 % de diminution du poids corporel. Il est primordial d’identifier au plus tôt les pertes de poids ainsi que les facteurs susceptibles d’entraîner une perte de poids. Le poids est vraiment le meilleur indicateur à prendre en compte et à suivre régulièrement. Il faut donc peser, peser et peser afin d’éviter une prise en charge trop tardive ! Les aidants professionnels à domicile ont aussi un rôle à jouer dans le dépistage précoce, en identifiant par exemple une perte d’appétit ou un amaigrissement et en le signalant à l’entourage ou au médecin généraliste de la personne. Concernant les médecins, il est important que chacun prenne conscience qu’il existe un niveau élevé de preuves démontrant l’efficacité de la prise en charge nutritionnelle pour limiter les complications associées à la dénutrition.
QLes résultats de l’étude ENNIGME mettent aussi en lumière l’importance de l’observance pour améliorer l’efficacité des CNO. Quels rôles peuvent jouer les différents acteurs de la chaîne de soin pour améliorer cette observance ?
RIl est tout d’abord important que les professionnels de santé expliquent clairement aux patients les bénéfices que les patients vont avoir à consommer des CNO : quand ils sont correctement consommés, leur efficacité a été démontrée. Les CNO doivent être présentés comme faisant partie intégrante du traitement médical, en association à des repas variés. Pour favoriser l’observance, il est aussi très important d’adapter la prescription de CNO en fonction des caractéristiques du patient, tant en termes de textures que de saveurs. La gamme disponible de CNO est aujourd’hui très large et permet de satisfaire les besoins de chaque patient et d’apporter de la variété aux utilisateurs. Le pharmacien a aussi un rôle à jouer, car il peut prendre soin de s’assurer de la bonne observance et proposer, si besoin, des saveurs ou des textures différentes.
QEn novembre 2018, le Collectif de Lutte contre la Dénutrition a formulé 14 propositions pour mieux lutter contre la dénutrition. L’une d’entre elles consistait à mieux former l’ensemble des professionnels de santé à la prévention, au dépistage et à la prise en charge de la dénutrition. Où en est-on depuis ? Est-ce que des actions ont été mises en place dans ce sens ?
RIl existe une vraie volonté d’améliorer les formations dans ce sens, que ce soit pour les infirmier(e)s, les diététicien(ne)s, les médecins, les cuisinier(e)s, etc. Si, depuis fin 2018, il est difficile de souligner des évolutions concrètes, les choses vont dans le bon sens et l’on compte sur la Semaine Nationale de la Dénutrition pour qu’elle soit un tremplin vers la mise en place d’actions concrètes, comme l’allongement de la durée de la formation des diététicien(ne)s qui permettrait de proposer une formation plus approfondie pour le soin.
[1] Étude non interventionnelle de l’impact économique de la prise en charge nutritionnelle par compléments nutritionnels oraux chez des personnes âgées ambulatoires dénutries