Interview du Dr Manuel Sanchez, PHU gériatrie, Hôpital Bichat, Paris.
« Il existe peu de données spécifiques sur la dénutrition recueillies pendant cette période, mais on sait que pour les patients qui ont eu une forme grave du Covid, le risque de dénutrition est majeur car la perte de poids est importante lors de l’hospitalisation, de l’ordre de 4 à 5 kg en moyenne pendant l’infection. Les sujets plus jeunes récupèrent rapidement le poids alors que les sujets plus âgés vont avoir des difficultés à retrouver leur poids d’avant la maladie. »
QQuelle est aujourd’hui la prévalence de la dénutrition en France ?
RIl n’y a pas d’enquête annuelle, mais globalement la prévalence n’a pas beaucoup évolué sur les 10-20 dernières années. Si l’on prend les critères de la dénutrition proposés par la HAS en 2007, on a une prévalence de l’ordre de 5 à 10 % en ville chez le sujet âgé de plus de 70 ans, qui monte jusqu’à 25-30 % en Ehpad pour les personnes les plus dépendantes. Quand on fait un focus sur l’hôpital, chez le sujet âgé de plus de 70 ans hospitalisé, il y a 50 à 60 % de dénutrition, soit plus d’un patient sur deux qui est déjà dans les critères de la dénutrition quand il arrive à l’hôpital. La dénutrition est d’ailleurs encore plus fréquente à la sortie de l’hôpital chez ces patients. Les patients les plus dépendants sont les plus à risque.
QEst-ce que la pandémie a aggravé ces chiffres ?
RIl existe peu de données spécifiques sur la dénutrition recueillies pendant cette période, mais on sait que pour les patients qui ont eu une forme grave du Covid, le risque de dénutrition est majeur car la perte de poids est importante lors de l’hospitalisation, de l’ordre de 4 à 5 kg en moyenne pendant l’infection. Les sujets plus jeunes récupèrent rapidement le poids alors que les sujets plus âgés vont avoir des difficultés à retrouver leur poids d’avant la maladie. Le Covid reste une infection grave, avec hospitalisation fréquente, et l’on sait que sur ce type de maladie, la perte de poids est importante. Mais il semble que l’infection ne soit pas la seule en cause : le confinement, la désorganisation des aides à domicile ou dans les Ehpad, l’isolement des proches, etc. ont fait que même les résidents qui n’ont pas eu le Covid ont tendance à perdre du poids. Ce qui est l’opposé des sujets jeunes en bonne santé qui ont plus eu tendance à prendre du poids car moins d’activité physique, confinement à domicile, télétravail, etc.
QY’a-t-il des retards de diagnostic de la dénutrition en France ?
RGlobalement, il y a un retard de diagnostic de la dénutrition. Elle n’est pas toujours considérée comme une maladie, est souvent minimisée chez des patients souffrant de polypathologies chroniques. Finalement on se rend compte qu’il y a une perte d’appétit et de poids, sans la signaler au médecin, donc non prise en charge. Le patient peut aussi sous-estimer ces signes lui-même. Il s’agit d’un des points importants de la prévention : il faut sensibiliser aussi les patients à cette perte de poids et ne pas la minimiser pour permettre un diagnostic précoce. Non, il n’est pas normal de perdre du poids en vieillissant !
QQuels sont les outils de prévention qui existent déjà pour lutter contre la dénutrition ?
RIl y a des campagnes de sensibilisation comme la Semaine de la dénutrition, en novembre, qui a lieu en ville et à l’hôpital pour expliquer sa détection et sa prise en charge.
Il y a aussi des campagnes de communication par les caisses de retraite pour communiquer auprès des jeunes retraités sur la pratique de l’activité physique, le bien manger pendant la période de la retraite…
L’outil le plus simple est le pèse-personne : chaque patient identifié comme à risque ou fragilisé par des pathologies chroniques doit avoir une surveillance régulière de son poids en consultation, tous les 3 mois par exemple. Il est utile de demander au patient de se peser une fois par mois (ou par son aide à domicile) et de le sensibiliser à toute perte. Cela permet un diagnostic assez précoce.
Il existe des scores et des échelles pour les professionnels de santé afin de mesurer les risques de dénutrition, mais la recherche d’une perte d’appétit ou d’une perte de poids sont les deux points-clés pour identifier un risque de dénutrition et permettre une prise en charge la plus rapide possible.
QLes CNO sont-ils utiles en prévention de la dénutrition ?
RLes CNO ont une place majeure dans la prise en charge de la dénutrition, avec de nombreuses études scientifiques prouvant leur efficacité (niveau de preuve important pour améliorer le poids, limiter les complications post-chirurgicales, limiter le recours à l’hospitalisation, etc. donc des critères importants), et ils sont remboursés dans ce cadre. On sait qu’il faut absolument prendre des CNO tous les jours, avec une dose suffisante pour apporter au moins 400 kcal et 30 g de protéines par jour pour être efficaces. Mais les CNO peuvent aussi être utilisés en prévention, sans être toutefois remboursés dans cette indication. Un par jour par exemple en cas de perte d’appétit ou d’hospitalisation, etc. peut augmenter les prises alimentaires dans un cadre donné.
QFaut-il plus de campagnes de prévention comme pour la canicule ?
RTout à fait, il faut sensibiliser directement la population mais aussi les politiques, les décideurs, etc. puisque, une fois installée, on parle de spirale de la dénutrition, une sorte de cercle vicieux dans lequel les complications deviennent difficiles à prendre en charge, aggravent la dénutrition, etc. Il est plus difficile de s’en sortir que si l’on avait vu le risque et pris en charge la dénutrition en amont. Les personnes âgées, notamment lorsqu’elles présentent une polypathologie et un risque de perte d’autonomie, doivent être sensibilisées pour alerter leur médecin traitant ou professionnel de santé. Les mesures qui seront mise en place précocement seront bien plus efficaces que si l’on attend 6 ou 12 mois alors que l’état nutritionnel s’est dégradé.
C’est aussi l’objectif du Programme national nutrition santé qui contient aussi des discours spécifiques destinés aux personnes âgées pour prévenir la fragilité et la dénutrition.
Enfin, quand on pense nutrition, on pense surtout alimentation, mais on a aussi de nombreuses preuves scientifiques que l’activité physique est bénéfique à tout âge. En complément d’une alimentation équilibrée riche en protéines, l’activité physique régulière ’est un moyen efficace pour lutter contre la perte musculaire et prévenir les chutes par exemple. Ainsi des offres d’activité physique adaptée aux personnes âgées, encadrée par des professionnelles, tendent à voir de plus en plus le jour et doivent être encouragés.