Cédric Mancop a 46 ans et est chef cuisinier dans un Ehpad du groupe Afp en Poitou-Charentes. Sa mission ? Élaborer des plats en texture modifiée tout en maintenant le plaisir et la convivialité propres aux repas.
Quelle est votre motivation ?
Il y a quelques années, j’ai dépanné une amie qui avait besoin qu’un cuisinier vienne la remplacer en collectivité et ça a correspondu au moment où ma propre grand-mère est entrée en Ehpad. Je n’étais pas ravi par ce qu’on lui donnait à manger, et notamment parce qu’elle mangeait en mixé.
Finalement, je me suis demandé ce que je pouvais essayer de faire à mon niveau pour améliorer le quotidien de ce public fragilisé.
Quels sont vos objectifs ?
Je m’amuse beaucoup plus en Ehpad que dans toutes les autres formes de restauration. Dans les établissements médico-sociaux, ce n’est pas comme dans les restaurants où on se rend pour le plaisir, il y a des heures fixes à table. Notre travail, c’est de continuer à partager notre passion en proposant des plats qui redonnent envie de manger.
Pour reprendre une expression de ma directrice, Anne Maillard, « Il faut savoir prendre soin jusque dans l’assiette ».
En créant une assiette sympa, cela permet de refaire du repas un lien social. Ça signifie qu’on va pouvoir échanger autour de l’assiette, peu importe la texture que les gens vont manger, que ce soit du mixé, du haché ou du normal (adaptation faite en cas de troubles de la déglutition, de sarcopénie…).
Ce que l’on souhaite vraiment dans mon établissement, c’est que tout le monde mange la même chose. Les résidents peuvent échanger sur les saveurs qu’ils ont dans leur assiette. Ils vont pouvoir parler de la présentation. Et là, ça devient intéressant, notamment sur les mixés, ma spécialité.
En faisant ça, on impose aux équipes de soins et de service d’expliquer l’assiette. Quand vous avez des carottes qui sont mixées et qui sont présentées sous forme de cubes par exemple, les équipes de soins sont obligées d’expliquer ce que sont les cubes. Cela lance la discussion autour du repas et tout le monde s’y retrouve finalement.
Pourquoi la cuisine en collectivité n’attire pas de prime abord ?
Lorsque j’ai commencé la restauration en école hôtelière, la phrase clé de notre professeur de cuisine était : « si tu ne travailles pas, tu vas finir en collectivité ». Elle me résonne toujours en tête puisque je suis encore en lien avec beaucoup d’amis avec qui j’ai fait mon école hôtelière.
C’est aussi de notre faute. Je pense que les professionnels du secteur des établissements médico-sociaux et des autres collectivités (comme les cantines), n’ont pas été cherchés les jeunes. On ne leur montre pas qu’on peut s’amuser, que la collectivité, ce n’est pas que l’avantage des horaires. Cette image de la collectivité, on commence seulement à en payer le prix. Il y a une pénurie de cuisiniers. On ne sait pas comment faire pour aller les chercher.
Comment travaillez-vous les assiettes en texture modifiée ?
On utilise de la gélatine, de l’agar-agar, et parfois en fonction de notre budget, de la crème montée ou du beurre pommade. Par exemple, pour quelqu’un qui mange mixé et qui aimerait retrouver la saveur du pain : mixer des biscottes, y ajouter un beurre juste ramolli, laisser le beurre figer ensuite. Cela donne du pain pour les personnes qui mangent en mixé, ils auront la saveur de la biscotte et ce côté brûlé du pain qu’on aime sur la croûte. Et ça n’a rien coûté du tout.
Pour le chaud, c’est pareil. Dans les flans de légumes, les quiches ou les tartes au fromage par exemple, on utilise du lait et/ou des œufs. L’avantage, c’est que cette partie liquide ajoutée pour mixer le produit apportera des protéines. L’agar-agar fonctionne très bien aussi pour le chaud et on va pouvoir proposer une forme, par exemple un poisson dans un moule.
Et là, le résident aura un poisson devant lui.
Utilisez-vous des compléments nutritionnels oraux dans vos préparations ?
Ce sont les soignants qui en apportent durant les repas pour les personnes dénutries. Nous avons un tableau avec le statut nutritionnel de chaque résident, certains ont besoin d’un apport supplémentaire !
Est-ce que vous avez un exemple qui vous a marqué ?
J’ai eu un monsieur qui était en manger main et qui s’alimentait de moins en moins, ça ne l’intéressait plus, c’était vraiment compliqué. Je me suis dit que je devais essayer quelque chose. J’ai une grande collection de moules et j’avais des moules en forme de pièces de puzzle. C’était des betteraves de mémoire, que j’ai moulé dedans. Quand il a vu le plat avec les pièces à moitié emboitées, ce monsieur a commencé à jouer avec les pièces, puis de fil en aiguille, il s’est léché les mains et puis il a fini par manger. Chaque jour on changeait les formes et on a réussi à le faire revenir à l’alimentation. Évidemment, il n’a pas pris 10 kilos, mais venir à table n’était plus une punition pour lui.