« La nutrition fait vraiment partie de la prise en charge de la mucoviscidose » interview du Pr Béatrice Dubern

Le Pr Béatrice Dubern est pédiatre nutritionniste et gastroentérologue au sein du service de nutrition et gastroentérologie pédiatriques de l’Hôpital Trousseau à Paris. Elle effectue des consultations de prise en charge nutritionnelle des patients atteints de mucoviscidose et collabore avec les pneumologues pour améliorer la vie des patients. Elle nous explique l’importance de la nutrition dans la prise en charge de la mucoviscidose, une maladie qui concerne 6 000 personnes en France, avec 200 naissances d’enfants atteints chaque année.

À quoi est due la dénutrition chez les patients atteints de mucoviscidose et de quel ordre est-elle ?

La dénutrition en général est secondaire à un déséquilibre de la balance d’énergie avec le plus souvent une diminution de la prise alimentaire par rapport aux dépenses énergétiques. Dans la mucoviscidose, c’est multifactoriel car chacun des deux éléments de cette balance énergétique vont être impactés et entraîner le déséquilibre de la balance. Concernant la diminution des ingesta : les enfants vont souvent moins manger, parce qu’ils ont une infection respiratoire, un reflux gastro-œsophagien, des douleurs abdominales ou d’autres symptômes qui entraînent une limitation de la prise alimentaire. Il y a également une augmentation de la dépense d’énergie, liée à la maladie, par exemple à cause des infections respiratoires chroniques qui vont entraîner un syndrome inflammatoire continu et parfois important, qui augmente la dépense d’énergie. Il peut aussi y avoir une augmentation du travail respiratoire, des muscles respiratoires (en cas de polypnée). Un autre facteur peut aussi intervenir quand l’insuffisance pancréatique exocrine est importante et qu’elle n’est pas corrigée avec les enzymes pancréatiques, l’enfant va alors perdre beaucoup de calories dans les selles à cause de la maldigestion des graisses. La dénutrition est donc liée à la maladie et au fait que la capacité respiratoire se dégrade au fil des années de maladie, favorisant les surinfections pulmonaires qui dégradent l’état de l’enfant, son alimentation, entraînant aussi la dénutrition…
Les traitements de la maladie, en revanche, améliorent l’état nutritionnel. En traitant les infections respiratoires avec des antibiotiques, il y a une amélioration de l’appétit, favorisant une prise de poids, l’infection étant sous contrôle et l’enfant se sentant mieux, il mange mieux. Les enzymes pancréatiques permettent également de contrôler la maldigestion et aident donc à limiter les diarrhées et la perte d’énergie dans les selles.
De nouvelles thérapeutiques sont actuellement développées dans la mucoviscidose et ont un impact sur la nutrition. Ces traitements restituent l’activité du CFTR, muté dans la mucoviscidose, induisant un meilleur état de santé des patients, avec pour conséquence une amélioration et même parfois une prise de poids importante chez ces patients traités. Le déséquilibre de la balance est alors inversé : le médicament permet une diminution des infections, le patient est moins malade et mange « trop » par rapport à ses besoins ! Nous devons dans ces cas être dans la prévention de la prise de poids ! Mais ces nouveaux traitements ne concernent malheureusement pas toutes les formes de la mucoviscidose donc la dénutrition est toujours importante dans cette maladie.

Quels patients sont concernés ?

Il y a, dans la mucoviscidose, deux âges critiques où la dénutrition est plus marquante. Ce sont d’abord les 3 premières années de vie, parce qu’il y a des besoins énergétiques très importants pour le développement des enfants. Si ces besoins ne sont pas couverts et que la maladie est mal contrôlée, il y a un fort risque de dénutrition. La deuxième période à risque de dénutrition est la puberté et l’adolescence, là encore en raison du développement pubertaire, mais aussi de l’aggravation de la fonction respiratoire augmentant les dépenses énergétiques. Une adaptation des besoins nutritionnels est indispensable pour éviter ces retentissements sur la croissance.
Dans tous les cas, l’état nutritionnel de ces malades doit être surveillé toute leur vie, y compris à l’âge adulte. Des études ont montré qu’un patient adulte avec un IMC bas a plus de risque de décès et qu’il était aussi un facteur de mauvais pronostic après une transplantation pulmonaire.

En pratique, quels conseils donner aux médecins généralistes ou pédiatres qui suivent des patients atteints de mucoviscidose ?

Les médecins doivent suivre la taille et le poids des patients pour évaluer l’IMC. Ces patients ont obligatoirement un suivi hospitalier dans des centres de compétence et de ressources pour la mucoviscidose (qui sont dans les centres hospitaliers) pour un bilan annuel minimum avec un bilan nutritionnel, un entretien avec une diététicienne, etc. Pour les enfants, les courbes de croissance doivent être scrutées de près également pour réagir rapidement en cas de retard de croissance. Chez les adultes et les adolescents, il faut surveiller l’apparition d’un diabète insulinorequérant lié à la mucoviscidose, l’atteinte du pancréas pouvant avoir des effets importants sur le statut pondéral.

Quelle est la prise en charge en cas de dénutrition chez ces patients ?

Chez les plus petits, l’enrichissement de l’alimentation est préconisé. Des compléments nutritionnels oraux sont réservés aux malades plus grands (adolescents) et sont quasiment systématiques à partir de la préadolescence (8 à 10 ans) plusieurs fois par jour. Dans les formes les plus sévères, il est nécessaire de faire appel à la nutrition entérale qui peut être mise à place chez certains patients adultes.

Quel est le risque de la dénutrition chez ces patients ?

L’altération de la qualité de vie est importante avec une perte de la masse maigre, diminuant également la mobilité. Et surtout il y a une aggravation de la maladie due à la dénutrition car la perte de poids est en partie liée à une perte de masses musculaires, touchant les muscles respiratoires qui ne peuvent plus répondre à une surinfection bronchique ou la polypnée. C’est un cercle vicieux qui peut alors s’établir. La nutrition fait vraiment partie de la prise en charge de la maladie. Si on ne prend pas en charge l’ensemble, la spirale est négative : dénutri, on fait plus d’infections, si on fait plus d’infections, on se dénutrit, etc.