Valérie Dépagne est orthophoniste, faisant fonction de cadre de rééducation à l’hôpital Bretonneau (Paris). Elle a exercé en libéral et en salariat, auprès d’adultes, dans des services de neurologie, de médecine physique et rééducation, de gériatrie et de réanimation. Elle nous parle des rôles essentiels des orthophonistes pour des patients en post-réanimation.
Quels sont les rôles moins connus de l’orthophoniste ?
L’orthophoniste est plus connu du grand public pour les prises en charge auprès des enfants. Mais nous intervenons également auprès de patients victimes d’accidents vasculaires cérébraux, de cancers ORL, de traumatismes crâniens, souffrant de maladies neurodégénératives ou des patients en Covid long. Nous intervenons dans des services hospitaliers post-urgence, de court séjour, en médecine interne, en pneumologie et dans des services de réanimation, notamment pour des patients post-intubation. Nous prenons alors en soins les troubles oro-myo-fonctionnels, de la parole, de la voix et de la déglutition.
Quelles sont les conséquences ORL que rencontrent ces patients en post-réanimation ?
On est appelé dans les services de réanimation pour des patients qui ont été intubés. On nous appelle en général juste après l’extubation. Lors d’une décision d’extubation, on peut travailler en partenariat avec les kinésithérapeutes et les médecins pour savoir quel est le moment idéal pour extuber. À ce moment-là, les conséquences que l’on va prendre en charge sont multiples. Ces patients ont des polyneuropathies de réanimation. Les conséquences de l’intubation vont toucher les muscles du pharynx et du larynx. Le larynx c’est les cordes vocales. La sonde d’intubation est un tube qui passe entre les cordes vocales pour permettre au patient de respirer, mais il les empêche de bouger. Les conséquences vont donc toucher la phonation (la voix) et la déglutition.
Les complications de la réanimation peuvent également être liées à la pose d’une sonde nasogastrique pour l’alimentation qui peut entraîner une sensation de gêne ou un défaut de mobilité des aryténoïdes (cartilages du larynx). Lors du sevrage respiratoire, une trachéotomie peut être nécessaire avec la pose d’une canule à ballonnet. Ce n’est pas la même chose que la sonde d’intubation, c’est une canule qui va avoir un ballonnet gonflé pour protéger les poumons. Il y a alors un risque de désafférentation du larynx ou de compression de l’œsophage si le ballonnet est surgonflé.
En pratique, comment pouvez-vous les aider en tant qu’orthophoniste ?
On va travailler sur toutes ces conséquences de l’intubation. On fait au préalable un bilan des fonctions oro-myofaciales et de l’oralité : on évalue la voix, les muscles, les praxies bucco-faciales, la sensibilité en intra buccale, la coordination pneumo-phonique, les postures de sécurité pour pouvoir déglutir sans fausse route, l’élévation pharyngolaryngée…
Si vous regardez lorsque vous avalez, vous posez votre main sur votre gorge et vous allez sentir que ça bouge, ça monte et ça descend, mais cela a été bloqué par la sonde. Il faut vérifier tous ces paramètres avant de pouvoir redonner à manger et à boire au patient. La rééducation vise à rétablir une alimentation sans danger par des exercices spécifiques et des adaptations de textures et de posture.
Dans la suite de la prise en charge, il n’y a pas que la reprise alimentaire, on travaille aussi la coordination entre la voix, la respiration et la déglutition. L’une ne marche pas sans l’autre, elles fonctionnent ensemble.
Comment pouvez-vous améliorer la prise alimentaire ?
On travaille en coordination avec les équipes médicales et paramédicales, les ergothérapeutes, les kinés et les diététiciens pour adapter les textures. Les compléments nutritionnels oraux sont souvent nécessaires. Après s’être assuré d’une bonne inspiration/expiration, d’une toux efficace et de sonorisations possibles, l’orthophoniste effectue les premiers essais de déglutition salivaire ballonnet dégonflé ; c’est très important : on ne fait jamais d’essais de déglutition ballonnet gonflé ! Puis on continue par une compote, quelque chose de sensoriellement appétissant, attractif. Pour les boissons, on teste d’abord l’eau gazeuse fraîche, qui stimule davantage la sensibilité. Puis on augmente les apports d’aliments liquides et solides. On se base actuellement sur la référence internationale IDDSI (International Diet Dysphagia Standardisation Initiative).*
Il y a-t-il toujours des orthophonistes pour faire ce travail de rééducation dans les services de soins intensifs (post-réanimation) ?
Malheureusement non, et c’est fort dommageable. Il y a des services de rééducation post-réanimation (SRPR), notamment dans de grands hôpitaux parisiens, donc dans ces services-là, on a la chance d’avoir plusieurs orthophonistes. Mais dans beaucoup d’autres hôpitaux, il peut y avoir des services de réanimation sans orthophoniste, voire l’hôpital complet avec aucun orthophoniste. Et il y a des besoins énormes ! Les médecins prescrivent, ils sont en demande, les patients et les familles bien sûr également, mais il n’y a malheureusement pas de poste d’orthophonistes. Il y a souvent des kinés et des diététiciens, mais c’est très compliqué pour certains patients d’avoir une prise en soins en réa et post-réa par des orthophonistes pour leur dysphagie et dysphonie.
On peut se retrouver avec des patients qui gardent des séquelles : une corde vocale paralysée, une voix chuchotée, de grosses difficultés pour manger, pour parler ; ils se dénutrissent et perdent leur vie sociale… Certains patients essaient de trouver des orthophonistes en libéral, mais les orthophonistes ont jusqu’à 1 an et demi de liste d’attente.
Nous ne sommes que 26 000 orthophonistes en France et à peine 2 000 dans les hôpitaux. Donc c’est très compliqué et c’est grave ! C’est une question de santé publique !